24 mars 2021

Les effets des interventions de soutien à la parentalité : publication d’une étude soutenue par l’EN3S assortie d’un coffre à outils à destination des entreprises

 

Ce nouveau projet de recherche est né dans le cadre de la plateforme francophone des entreprises pour le développement des socles de protection sociale (plateforme GBN). Cette plateforme, animée par l’EN3S dans le cadre d’une convention avec l’Organisation internationale du travail (OIT), se veut un lieu d’échanges et de réflexions autour des meilleures pratiques que les entreprises peuvent mettre en œuvre pour développer les socles de protection sociale au sein de leurs filiales partout dans le monde.

La recherche a été conduite par la plateforme Global-Watch, plateforme de recensement et de diffusion des bonnes pratiques sur le bien-être et la qualité de vie au travail. La partie scientifique de l’étude a été conduite par des chercheurs de l’Université de Sherbrooke.

France Saint-Hilaire, Ph. D. à l’Université de Sherbrooke, a assuré la supervision scientifique de la recherche, elle nous dévoile la démarche et les principaux résultats de l’étude.

Qu’entend-on par mesure de soutien à la parentalité ? En quoi le sujet relève-t-il du domaine de l’entreprise et non-exclusivement des politiques sociales publiques ?

La parentalité s’inscrit plus largement dans la sphère de la conciliation travail-vie personnelle qui se traduit par le sentiment d’être en mesure de répondre adéquatement à la fois aux responsabilités professionnelles et personnelles. Offrir de la flexibilité du lieu (télétravail) et du temps de travail (p. ex. : par le partage d’emploi ou la semaine compressée), ainsi que de bonifier les avantages sociaux par des congés parentaux ou des congés sabbatiques pour raisons personnelles ou familiales sont des exemples d’intervention qui permettent de soutenir les parents salariés.

Pour les entreprises qui œuvrent dans un contexte international, leur implication est d’autant plus importante ne serait-ce que pour réduire les inégalités au sein de leur propre organisation lorsque les couvertures sociales sont absentes ou encore insuffisantes dans les pays où elles sont implantées. Les entreprises jouent également un rôle en contribuant à répondre à des enjeux éthiques – en facilitant l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités familiales et professionnelles –, économiques, par exemple en réduisant les coûts d’absentéisme ou encore sociaux en favorisant le bien-être des salariés. Ajoutons qu’en soutenant la parentalité, les entreprises favorisent non seulement le bien-être, mais également la performance de leurs salariés. Et comme tout enjeu sociétal complexe, la mobilisation de toutes les parties prenantes, dont les entreprises, est une condition sine qua non pour soutenir avec succès les parents salariés et assurer leur bien-être ainsi que celui de leur famille et de la société.

Quels étaient vos objectifs de recherche ? Quel cheminement avez-vous suivi pour les atteindre ?

Nous poursuivions un double objectif : cibler des indicateurs qui permettent de mesurer les retombées des interventions de soutien à la parentalité pour mieux guider les praticiens dans l’évaluation de l’efficacité de leur démarche en matière de parentalité. Nous avons réalisé une synthèse de la littérature scientifique afin de recenser les interventions de soutien à la parentalité ainsi que les conditions nécessaires pour assurer leur succès lors de l’implantation. Notre analyse des données probantes visait également à distinguer les retombées (effets) de ces interventions. À partir des effets inventoriés, nous avons associé un ou des indicateurs de performance pour mesurer concrètement les retombées de ces interventions.

Un comité composé d’experts universitaires a piloté la démarche scientifique pour le repérage, la sélection et l’analyse des articles scientifiques. À la manière d’un tamis, des critères d’inclusion pour retenir les articles les plus pertinents et qui présentent les résultats les plus robustes ont été ajoutés progressivement au cours de cinq phases d’interrogation des banques de données. Par ce processus de sélection rigoureux, nous sommes passés d’un nombre initial de 158 145 articles à 70 articles scientifiques retenus et analysés.

Votre étude comporte une partie spécifiquement dédiée à l’international. Les préférences en matière de dispositifs de soutien à la parentalité ne sont pas exclusivement liées au contexte économique et aux prestations offertes par l’Etat. Quels critères culturels influent sur les dispositifs mis en place dans les entreprises ?

Une analyse approfondie de six études internationales a fait ressortir sept facteurs à considérer lors de l’implantation des interventions et de l’évaluation de leurs effets. Œuvrer dans une culture individualiste, qui se traduit par une tendance à valoriser l’individu par l’autonomie et ses intérêts personnels comme le bien-être et le succès plutôt que dans une culture collectiviste où les intérêts du groupe, le sentiment d’appartenance et la loyauté priment est l’un des facteurs culturels à considérer. Un autre facteur est la culture masculine, orientée vers la compétition et qui se manifeste par une préférence envers les résultats, l’héroïsme, la reconnaissance et le succès matériel, a contrario d’une culture féminine qui sera orientée vers le consensus à travers la collaboration, la modestie, la sécurité d’emploi et la qualité de vie. Un autre facteur à prendre en compte : quelle est l’importance accordée à la distance hiérarchique? Est-ce qu’il y a une tendance à accepter une répartition inégale du pouvoir au sein des organisations, des institutions de la société ou à privilégier plutôt une répartition plus égale qui caractérise une faible distance hiérarchique. Le degré d’intolérance à l’incertitude concerne la tendance à privilégier les règles, les procédures et les normes ainsi qu’à rechercher une maîtrise des événements incertains (tolérance faible) ou, à l’inverse, à accepter l’incertitude, la prise de risques et d’initiatives ainsi que la flexibilité (tolérance élevée). Une autre différence culturelle est le degré d’égalité entre les sexes : une égalité entre les sexes qualifiée d’élevée se caractérise par l’atténuation des différences entre les sexes, la condamnation de la discrimination et où les genres ont le même statut et bénéficient des mêmes conditions pour se réaliser et pour profiter des retombées (p. ex. : éducation, accès aux soins de santé, égalité des genres dans la sphère politique, participation au marché du travail et salaires). La tendance à rechercher et à maintenir la sécurité financière et l’ordre social (priorité de survie) plutôt qu’à rechercher le bien-être, la qualité de vie et la liberté d’expression (priorité de se développer) nous informe sur une prospérité favorable ou défavorable du contexte socio-économique. Enfin, une même intervention ne produira pas nécessairement les mêmes effets selon les contextes culturels où elle est implantée. Par exemple, reconnu pour faciliter la conciliation travail-vie personnelle, le télétravail augmente plutôt le conflit travail-vie personnelle au sein de la culture latino-américaine. Seulement pour l’Amérique du Nord, la semaine de travail compressée contribue à augmenter l’interférence entre le travail et la vie personnelle alors qu’on observe également une prévalence de cette interférence lorsque l’on réduit le nombre d’heures moyen travaillé par semaine au sein des cultures dites individualistes. Quelle conclusion pouvons-nous tirer de ces résultats?  Une même intervention peut soutenir la parentalité des salariés dans certains contextes culturels alors qu’elle représentera une entrave à l’expérience de la parentalité dans d’autres contextes.

Pour mesurer les effets des interventions de soutien à la parentalité au travail, vous proposez une boîte à outils. Quels sont ces outils proposés aux entreprises ? Quels conseils leur donnez-vous pour qu’elles se les approprient ?

La boîte à outils est composée de 4 tableaux de bord (organisationnels, individuels, familiaux et sociétaux) qui regroupent un total de 39 indicateurs de performance. Chaque indicateur est priorisé selon trois niveaux (priorité 1, 2 ou 3) afin d’informer l’entreprise sur les indicateurs qu’elle devrait privilégier, selon son niveau de maturité en matière de soutien à la parentalité et de sa capacité organisationnelle à intégrer un tableau de bord plus complexe. Chaque indicateur est également classé selon un stade de la chaîne de réaction, soit le temps nécessaire pour observer une évolution d’un indicateur. Chaque indicateur est présenté sous forme de fiche qui comprend l’effet observé dans la littérature scientifique (p. ex. : favoriser une culture de soutien à la parentalité), l’indicateur qui est associé à cet effet (p. ex. : degré de stigmatisation de l’utilisation des stratégies) et sa définition (p. ex. : la réprobation sociale à l’égard de l’utilisation des interventions), les sources d’information suggérées pour mesurer l’indicateur (p. ex. : sondage qui indique les dimensions à mesurer, par exemple la discrimination envers les utilisateurs) et les conditions d’utilisation (telle que l’importance de sonder avant et après une intervention ou de nuancer les résultats selon certains facteurs, tels que la culture nationale ou organisationnelle).

Afin de faciliter l’appropriation et le succès de votre démarche, il faut vous assurer d’obtenir l’engagement de toute la ligne hiérarchique et d’établir un plan d’intervention organisationnel. Chaque entreprise devrait également faire un diagnostic, un état des lieux, de ses besoins en matière de parentalité, mais également des interventions déjà implantées et de leur efficacité, et ce, avant même de penser à introduire de nouvelles interventions. Comme pour tout changement organisationnel, il est plus efficace d’actualiser ou d’améliorer les interventions existantes. Si l’entreprise utilise d’autres indicateurs que ceux proposés dans la boîte à outils pour mesurer un effet et que cet indicateur est fiable, il est approprié de le conserver puisqu’il permettra à votre entreprise de se comparer à travers le temps. Il faut également se fixer des objectifs quant aux indicateurs de performance : souhaitez-vous vous comparer en interne, avec d’autres filiales, avec les autres organisations de votre secteur économique, voire avec des entreprises internationales ? Les réponses à ces questions sont cruciales afin d’établir une stratégie de mesure qui est adaptée à vos besoins et qui sera pérenne pour votre entreprise.

La boîte à outils a été développée dans l’esprit d’offrir de la flexibilité à ses utilisateurs. Ce qu’il convient de se rappeler dans le choix des indicateurs, ce sont les principaux mécanismes qui interviennent dans la mesure des effets d’une telle démarche : les interventions ne produiront pas toutes des effets à court terme (chaîne de réaction), certains indicateurs sont plus complexes à mesurer (niveau de priorité), la source d’information choisie doit être fiable et cohérente avec ce que l’on souhaite mesurer et les conditions d’utilisation peuvent influencer la variation de l’indicateur. Avant de conclure à l’absence d’effet ou de retombées d’une intervention de soutien à la parentalité, il faut s’assurer que vous aviez d’abord ciblé les interventions les plus efficaces en fonction des facteurs culturels qui vous sont propres, que les conditions de succès de l’implantation étaient présentes et que l’indicateur mesuré est adapté à votre contexte, est bien documenté et qu’il respecte les conditions d’utilisation.

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