19 septembre 2023

Guide GBN : « L’objectif, c’est de faire en sorte que directions RH et RSE se parlent plus au sein des entreprises » – D. LIBAULT

 

AEF info : interview Dominique Libault sur le guide d’accompagnement visant à promouvoir le développement des politiques de protection sociale au sein des multinationales françaises, retrouvez l’article ci-dessous

https://www.aefinfo.fr/depeche/699350

 

La « plateforme francophone du réseau mondial sur les socles de protection sociale », cercle de réflexions entre grandes entreprises animé par l’EN3S, a publié le 27 juin dernier son dernier guide d’accompagnement visant à promouvoir le développement des politiques de protection sociale au sein des multinationales françaises. Dans un échange avec AEF info, le directeur de l’EN3S, Dominique Libault, explique pourquoi ce nouveau guide est consacré à la question du bien-être au travail. L’ancien directeur de la Sécurité sociale dresse aussi les possibles perspectives pour le développement de la protection sociale à l’international et souligne que les prochains défis pourraient nécessiter une coopération renforcée entre responsables RH et RSE au sein des grandes entreprises promouvant ces politiques.

AEF info : Quelles évolutions majeures retenez-vous depuis la mise en place en 2015 de votre plateforme sur les politiques de protection sociale des grandes entreprises implantées à l’international ?

Dominique Libault : Cette plateforme avait été mise en place à l’époque, en partenariat avec l’OIT, pour favoriser les échanges entre entreprises souhaitant promouvoir la protection sociale de leurs salariés à l’international. Ce dispositif a continué à vivre et à évoluer au fil des ans et a même gagné en importance car les entreprises françaises ont peu de lieux dédiés pour échanger sur ces thématiques spécifiques. De nouveaux groupes ont ainsi rejoint la plateforme et certains, comme Sanofi, ont poussé un peu plus loin leur engagement dans la démarche.

AEF info : La méthode de travail de la plateforme a-t-elle évolué ?

Dominique Libault : Non, elle reste fondamentalement la même : produire des guides à vocation pratique pour aider les entreprises. L’objectif n’est pas de donner de leçons ou d’imposer des normes mais d’inspirer les responsables au sein des organisations en mettant en valeur des exemples d’actions innovantes pouvant servir de bases pour la mise en place de politiques au niveau d’un groupe international. Nous cherchons aussi à clarifier les différentes notions du champ de la protection sociale, à aider à bien faire comprendre de quoi on parle, et comment les différentes notions s’articulent entre elles.

AEF info : Votre dernier guide, publié en juin dernier, est consacré au bien être au travail. Pourquoi ce choix ?

Dominique Libault : Nous avons choisi ce thème car on voit de plus en plus qu’une bonne politique de protection sociale ne peut faire l’économie d’une réflexion sur une bonne politique de l’organisation du travail. Ce qui ouvre aussi sur les notions de sens au travail et de bien-être au travail. La pandémie a mis en avant l’importance de ces sujets et nos adhérents étaient demandeurs d’une réflexion plus poussée sur ces sujets. Les entreprises de la plateforme souhaitaient vraiment réfléchir là-dessus, notamment dans un contexte de tension sur les recrutements. Ce n’est pas une question d’altruisme, cela correspond aux intérêts économiques immédiats des entreprises.

AEF info : Ce choix pour votre dernier guide d’une problématique centrée sur le bien-être au travail semble aussi particulièrement d’actualité, sachant que le débat actuel porte notamment sur les possibles raisons de la forte croissance de l’absentéisme – ce qui amène à examiner de multiples motifs pouvant expliquer cette hausse.

Dominique Libault : Oui, on voit là encore avec cet exemple que les intérêts de la Sécurité sociale et du système de production convergent. Les deux ensembles ont intérêt à réduire ce phénomène d’absentéisme. Mais l’enjeu, c’est que chaque acteur prenne conscience de sa part de responsabilité et réfléchisse en amont à ses propres possibilités pour contribuer à réduire ce phénomène. Ce qui peut passer, entre-autres, par la mise en place d’un cadre favorisant le bien-être au travail et minimisant le plus possible les différents risques – qu’il s’agisse très directement des arrêts de travail ou accidents de travail, mais aussi des risques psychosociaux plus diffus. Mais comme nous le précisons dans ce dernier guide, l’un des enjeux pour les responsables RH, c’est surtout d’arriver à impliquer et sensibiliser sur ces sujets toutes les composantes de leurs organisations.

AEF info : Vos guides peuvent-ils aider les responsables RH à accomplir justement ce travail interne de « sensibilisation » ?

Dominique Libault : Tout à fait. Ces guides sont basés sur des exemples concrets au sein d’entreprise, sur la manière notamment dont certains ont réussi à impliquer différentes équipes ou départements au sein d’un même groupe. Ces exemples de réussite permettent de mettre en évidence certaines techniques, certains « outils », que d’autres responsables peuvent réemployer pour lancer leur propre stratégie au sein d’un grand groupe.

AEF info : Cette problématique de sens au travail, et ses effets sur les salariés, est-elle rencontrée de la même manière à l’international par les entreprises ? Plus globalement, comment se traduit cette dimension internationale dans vos guides, dans la manière notamment dont vous appréhendez les spécificités culturelles qui peuvent amener à appréhender différemment les problématiques évoquées précédemment ?

Dominique Libault : Pour répondre à votre première question, l’attention accrue portée au sens du travail est un phénomène concernant quand même essentiellement les sociétés vieillissantes. Le sujet est beaucoup moins prégnant dans les pays où la démographie reste forte. Concernant plus généralement les différences culturelles, qui peuvent être fortes pour un groupe employant des équipes sur différents continents, nous avions dédié notre premier guide à cette question en analysant ce qui doit relever d’une stratégie globale d’un groupe et ce qui doit être délégué au niveau de chaque entité nationale pour mieux tenir compte des spécificités de chaque pays. Cela dit, sur certains sujets comme la QVT, on trouve certains invariants d’un pays à l’autre. Le fait d’écouter les salariés, de comprendre leurs priorités, leur perception de leur propre travail, est ainsi un facteur important dans toutes les situations, qu’il s’agisse de filiales en Inde ou aux États-Unis. La prise en compte par les managers des risques psychosociaux est un autre exemple de dimension qui doit être analysée quel que soit le contexte national ou le secteur d’activité. Il y a donc des méthodologies qui peuvent être réemployées quel que soit le pays.

AEF info : Pouvez-vous me citer certains exemples de concrétisations inspirées des propositions et « outils » que vous promouvez dans vos guides ?

Dominique Libault : Nous avons notamment émis plusieurs propositions dans nos précédents guides sur la parentalité, et je constate qu’à la suite de cela plusieurs adhérents ont avancé pour mettre en place des politiques parentalité à l’ensemble de leur groupe. Ce qui s’est traduit par la mise en place de congés parentaux, et notamment de congés paternité, allant très au-delà de ce que prévoient certaines législations nationales. J’espère donc que nos guides ont pu avoir une petite influence dans ces avancées.

AEF info : Pour revenir sur la plateforme éditrice de ces guides, avez-vous aussi construit depuis 2015 de nouveaux liens avec des partenaires à l’étranger ?

Dominique Libault : Pour être tout à fait franc, notre plateforme est l’une des plus dynamiques sur ces sujets à l’international. C’est ce que nous indique l’OIT en tout cas. Nous avons donc des difficultés à identifier des homologues avec qui nous pourrions échanger à l’étranger. Cela tient un peu aussi au caractère assez spécifique, voire unique, de l’EN3S qui abrite cette plateforme. Cette spécificité est aussi liée au rôle moteur de certains groupes comme Danone ou l’Oréal qui ont beaucoup contribué à la mise en place d’une dynamique. Ce qui renvoie aussi à l’implication de certains dirigeants qui ont fait de l’avancée sur ces sujets une véritable composante de leur stratégie d’expansion à l’international. On ne retrouve pas forcément cette même approche dans d’autres grands groupes mondiaux.

AEF info : Avez-vous des objectifs particuliers pour l’avenir de la plate-forme, ou des enjeux sur lesquels vous souhaiteriez avancer plus loin ?

Dominique Libault : L’un des enjeux qui me semble également important, c’est la manière dont ces grands groupes internationaux peuvent aussi être contributeurs, de par leurs propres pratiques, pour la diffusion d’une culture de la protection sociale au sein des pays d’implantation. Cet enjeu passe notamment par la manière dont ces groupes interagissent avec leurs fournisseurs ou leurs sous-traitants. C’est un défi central pour faire évoluer les socles de protection sociale dans certains pays. Le problème, c’est que ces aspects sont souvent traités dans les entreprises par les directions achats, et non par les directions RH avec qui nous dialoguons actuellement au sein de la plateforme. Nous devons donc là aussi établir de nouveaux liens au sein des entreprises françaises. Donc d’après moi, l’objectif suivant, c’est de faire en sorte que les directions RSE et RH se parlent plus au sein de ces grands groupes. Et accessoirement, parvenir à plus intégrer les responsables RSE dans le cadre de nos discussions au sein de la plateforme.

Entretien réalisé par Grégoire Faney pour AEF