25 août 2023
Grand prix de la protection sociale : Hippolyte d’Albis présente son ouvrage « Les séniors et l’emploi »
Afin de contribuer à la promotion de la protection sociale, l’École nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S) et la Caisse des Dépôts se sont associées, depuis 2019, pour attribuer le « Grand Prix de la protection sociale ». Ce prix vise à récompenser les meilleurs ouvrages, parus durant l’année, qui participent aux débats sur la protection sociale et aux analyses qui sont développées sur son organisation, sa pertinence et sa performance.
Réuni le 19 avril 2023 pour désigner les ouvrages lauréats de l’édition 2023, le jury réunissant des experts issus du monde de la protection sociale, a décidé de co-primer deux ouvrages :
- Thomas Coutrot et Coralie Perez, Redonner du sens au travail – Une aspiration révolutionnaire, Seuil, septembre 2022
- Hippolyte d’Albis, Les séniors et l’emploi, Les presses de Sciences Po, mai 2022
Hippolyte d’Albis, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris et président du Cercle des économistes, nous présente son ouvrage.
En matière d’emploi des seniors, comment se situe actuellement la France ?
Au premier trimestre 2023, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans a atteint 57,6%. Il est légèrement inférieur à celui qui prévaut en Belgique ou en Espagne, mais beaucoup plus faible qu’au Royaume-Uni (64,9%), en Allemagne (74,2%) ou en Suède (78,4%). J’ai calculé que si l’on avait le même taux d’emploi que les Suédois pour cette catégorie d’âge, cela ferait près de 1,8 millions de seniors de plus en emploi ! C’est absolument colossal, et c’est pour cela que le faible taux d’emploi des seniors en France est un vrai gâchis.
Quelles sont les évolutions sur ces dernières décennies en la matière ?
C’est une histoire statistique en forme de U. A la fin des années 1970, le taux d’emploi était de 48% ; il chute fortement au cours des années 1981 à 1986, où il atteindra 33,5%, et va ensuite s’effriter jusqu’en 1998 pour s’établir à 28,7%, son point bas historique. Depuis, il augmente continument sans inflexion, y compris à l’occasion de la crise sanitaire. Rien que sur les 9 dernières années, il a augmenté de 10 points de pourcentage. Pour une variable aussi structurelle, c’est assez rapide.
Comment expliquez-vous cette amélioration ? Repose-t-elle exclusivement sur les réformes des retraites ?
Les reformes reposant sur l’allongement de la durée de cotisation ou le recul de l’âge de départ ont un effet sur le taux d’emploi, essentiellement en maintenant en emploi les personnes les plus qualifiées et les mieux insérées. La hausse du taux d’emploi en France est concomitante aux différentes réformes de retraites, mais ces dernières n’expliquent pas tout. Dans mon livre, je montre qu’elle est fortement portée par de nouvelles générations de travailleurs seniors, en meilleure santé, plus qualifiées et plus féminisées.
Selon vous, quels sont les leviers pour rapprocher le taux d’emploi des séniors de celui de nos voisins les plus efficaces en la matière ?
Trois leviers sont essentiels et doivent être actionnés ensembles. Les reformes de la protection sociale restent importantes, que se soit en matière de retraite ou d’assurance chômage. La réduction de la durée d’indemnisation des chômeurs mise en place depuis le 1er février devrait ainsi avoir un impact positif sur le taux d’emploi. La formation, idéalement tout au long de la vie, doit également être renforcée afin de maintenir l’employabilité des travailleurs seniors. Mais c’est surtout dans les entreprises que cela se joue, où un nécessaire changement d’attitude envers les travailleurs seniors est en train de s’opérer.
Que représente pour vous le fait de remporter ce prix avec un ouvrage sur cette thématique ?
Le thème m’a été proposé il y a quelques années par André Zylberberg de la Chaire de Sécurisation des parcours professionnels de Sciences Po. Le thème est devenu d’actualité du fait de la réforme des retraites, et notamment parce que l’articulation entre l’emploi des seniors et l’âge de la retraite faisait polémique : certains pensaient que le recul de l’âge augmenterait l’emploi tandis que d’autres disait que du fait du faible taux d’emploi, il ne fallait pas repousser l’âge de la retraite. J’espère que la littérature académique, que j’essaie de présenter de façon accessible dans mon ouvrage, aidera tout à chacun à se faire une opinion motivée.
Les co-lauréats de ce prix de la protection sociale, Thomas Coutrot et Coralie Perez, donnent des pistes pour redonner du sens au travail. Cette problématique touche-t-elle aussi, ou surtout, les seniors ?
Oui, tout à fait : mon livre vise à replacer les travailleurs seniors au cœur d’un débat qui les concernent mais dont ils sont trop souvent oubliés. On que state que, du fait des nombreux clichés et discriminations auxquels ils sont confrontés, beaucoup ont moins envie de travailler. Il y a donc un enjeu crucial pour les entreprises de remotivation de cette population, qui travaillera plus longtemps que les générations précédentes. Or, à partir d’un certain nombre d’années d’expérience, la motivation associée à la perspective de « faire carrière » s’atténue au profit du sens du travail, qui devient le déterminant principal de l’envie de travailler.
Retrouvez Hippolyte d’Albis lors des Grands dossiers de la protection sociale 2023 : LES SOLIDARITÉS À L’ÉPREUVE DES DETTES FINANCIÈRE ET ÉCOLOGIQUE.
Mercredi 11 octobre, dans le cadre de la journée consacrée au travail et à la vieillesse, les lauréats du Grand Prix de la Protection Sociale 2023 interviendront sur l’avenir du travail.