16 avril 2019

Interview de Dominique Libault sur son rapport Grand âge et Autonomie

Dominique Libault, directeur de l’EN3S et pilote de la concertation « Grand âge et autonomie », a remis son rapport à Agnès Buzyn le 28 mars dernier après 6 mois de concertation et de mobilisation citoyenne (+ de 400 000 participations). Ce rapport formule 175 propositions pour améliorer la prise en charge de la dépendance et lutter contre la perte d’autonomie.

Il revient pour nous sur des éléments phares du rapport et le sens qu’il souhaite donner à la gestion du grand âge en France.

Dans votre rapport, vous soulignez l’importance de la mise en place d’un véritable parcours de santé adapté aux aînés : quels leviers pour y parvenir ? Quelles attentes vis-à-vis de l’Assurance maladie ?

La mise en place d’un parcours de santé adapté se pose plus particulièrement pour les personnes âgées car elles se retrouvent souvent confrontées à plusieurs pathologies et avec une perte d’autonomie qui peut se rajouter à ces pathologies. Cela mobilise une multiplicité d’acteurs ce qui amène à une question de coordination et de continuité de l’action  de ces intervenants. Il faudrait sécuriser cette coordination et cette continuité de façon à éviter les ruptures et les risques comme, par exemple, le passage aux urgences hospitalières qui est extrêmement problématique pour les personnes âgées.

Les leviers pour parvenir à une gestion optimale des parcours santé des aînés se concentrent autour de l’amélioration de l’organisation et de coordination des acteurs non seulement de la santé mais aussi du social et médico-social. Un des outils à privilégier pour y parvenir c’est l’élaboration d’un plan personnalisé de santé entre les acteurs pour permettre de mieux suivre la personne. Le rôle de l’Assurance maladie demain devra être d’encourager, d’outiller et de favoriser cette organisation pour coordonner l’ensemble des acteurs.

Parmi les nombreuses pistes et champs que vous couvrez dans votre rapport, vous appelez à une véritable refonte du modèle de gestion des EHPAD ou plus largement de la prise en charge en institution. Elle passe notamment par des plans de formation et de recrutement, le plafonnement du reste à charge ou la mise en œuvre d’une gamme de solutions intermédiaires. Quels objectifs visez-vous à court et moyen termes ?

L’objectif premier, c’est une nouvelle offre qui réponde mieux aux besoins et aux attentes des personnes d’âgées d’aujourd’hui et de demain.

Actuellement, l’offre est trop hétérogène en termes de qualité. De plus, le prix qu’une personne paye n’est pas forcément en rapport avec la qualité réelle de la prise en charge et de l’accompagnement. Par ailleurs, les solutions en cours aujourd’hui se réduisent trop souvent à une forme d’isolement chez soi ou une forme d’isolement entre personne âgées au sein d’un établissement assez fermé sur lui-même.

L’objectif de demain c’est de construire une nouvelle offre décloisonnée qui permette d’échapper à ce dilemme de l’isolement chez soi ou entre personne âgées. Elle permettrait aux personnes de rester dans leur vie, de rester dans la vie, avec les autres et viserait plus au maintien de l’autonomie qu’à une simple gestion de la dépendance.

Vous préconisez plusieurs pistes pour assurer le financement de la dépendance que vous évaluez à 10 milliards d’euros annuel sans impacter le solde public. Pouvez-vous nous détailler celles qui vous semblent les plus réalistes dans le contexte actuel ? Considérez-vous qu’une meilleure prise en charge de l’autonomie garantirait à long terme des économies sur les soldes de l’Assurance maladie ?

 Dans le contexte actuel de la France, la concertation que j’ai pilotée n’a pas souhaité la mise en place de prélèvements obligatoires nouveaux. Elle a privilégié l’usage des recettes existantes comme le Fonds des réserves des retraites, les excédents d’autres branches de la Sécurité sociale ou les sommes libérées en 2024 par l’extinction du remboursement de la dette sociale (qui seront très importantes). C’est la piste privilégiée par la concertation.

Pour y parvenir, cela nécessite des efforts de priorisation des dépenses, notamment dans les autres branches de la Sécurité sociale. À terme, l’organisation que nous suggérons permettrait de dégager de fortes économies pour l’Assurance maladie.

Nous sommes actuellement mauvais en France sur l’espérance de vie sans incapacité mais nous avons la possibilité de progresser grâce à la prévention. Nous ne sommes pas très bons également sur une prise en charge pertinente aux meilleurs coûts. Cela génère  encore trop d’hospitalisations évitables.

Grâce à la logique de parcours adapté, nous pouvons réduire ces coûts et avoir une meilleure prévention afin d’éviter des phénomènes d’hospitalisation évitable comme les chutes, la dénutrition et la iatrogénie médicamenteuse.

L’efficience est toujours possible, je pense par exemple aux locations des fauteuils roulant et de l’ensemble des produits techniques qui aujourd’hui donnent lieu à un achat qui est pris en charge par l’Assurance maladie alors qu’il pourrait donner lieu à des locations qui seraient plus économes pour l’ensemble du système.

A de nombreuses reprises, vous évoquez l’importance de la convergence des acteurs (organismes de Sécurité sociale, conseils départementaux, etc.) pour un meilleur accès aux droits mais aussi pour l’amélioration des politiques de prévention de la perte d’autonomie. Quelles sont vos attentes vis-à-vis des organismes de Sécurité sociale ?

Notre modèle de Sécurité sociale arrive au bout d’une logique de gestion autonome, organisme par organisme. Le grand débat national va aussi montrer qu’en matière de simplification pour l’ensemble des assurés, ce mode de fonctionnement n’est plus possible, cela ne l’est donc pas non plus pour les personnes âgées.

La demande de guichet unique que l’on préconise dans notre rapport sous le nom de Maison des aînées et des aidants, nos propositions pour améliorer la gestion des parcours ainsi que la nécessité de travailler avec les différents acteurs (médico-social etc.) va exiger une autre forme de travail des organismes.

Les attentes et les besoins des usagers, notre capacité à répondre demain aux exigences de service public passeront forcément au niveau local par un renforcement des maillages territoriaux et de la collaboration entre tous les acteurs pour garantir une réponse adéquate et adaptée aux parcours de vie de nos usagers.

Nous n’avons plus les moyens en matière de dépense publique de maintenir ce fonctionnement en silo qui se révèle par ailleurs souvent inefficace. Si nous ratons ce rendez-vous de « la simplification et de la convergence », si nous, acteurs de la Sécurité sociale, nous ne le portons pas chacun à notre échelle, nous prenons le risque, à brève échéance, qu’il s’impose d’une manière ou d’une autre à nous.

 

Découvrez l’ensemble des propositions dans le rapport grand âge et autonomie