24 avril 2019

Lutte contre la fraude sociale – Point de vue de Pierre Ramon-Baldie et de Marc Scholler

L’EN3S propose une formation sur la lutte contre la fraude pour faire le point sur l’actualité, les enjeux et acteurs mobilisés autour de ce sujet. Marc Scholler, Directeur coordonnateur du contrôle et de la lutte contre la fraude à la DSS et Pierre Ramon-Baldie, Directeur-adjoint de l’Urssaf Rhône-Alpes et ancien élève de l’EN3S (35ème promotion), intervenant dans cette formation font le point pour nous sur la question.

La lutte contre la fraude fait partie des sujets prioritaires pour les Français dans les enquêtes sur leurs attentes vis-à-vis de la Sécurité sociale. Régulièrement, les affaires de fraudes sont à la une des médias et suscitent beaucoup de désinformation. Selon vous, cela s’explique-t-il par un manque d’information au préalable de la part des organismes de Sécurité sociale ?

Pierre Ramon Baldie : Le sujet de la médiatisation de la lutte contre la fraude (sociale ou fiscale d’ailleurs) est assez paradoxal ! Il est indispensable que les organismes communiquent sur les actions et les résultats dans le domaine de la lutte contre les fraudes, parce que cette lutte fait partie de leurs missions, et que la médiatisation permet de rappeler à tous qu’ils veillent à la bonne gestion des fonds publics et l’égalité de traitement des usagers. Pour autant, cette médiatisation peut conforter l’idée de certains de nos compatriotes que le système est facilement « fraudable » et régulièrement « fraudé, ce qui peut générer une perte de confiance dans ce cas.

A court terme, je considère que le niveau de médiatisation de nos réussites en matière de lutte contre les fraudes sociales est encore très insuffisant, et qu’il faut le renforcer avec une pédagogie adaptée.

Marc Scholler : Le fait que certains obtiennent, en échappant à l’exécution des lois, des avantages matériels au détriment de leurs concitoyens sape les fondements de la Sécurité sociale que sont la solidarité et la juste répartition des ressources en fonction des besoins. Il est donc bien normal que les Français s’inquiètent des actions mises en place par les pouvoirs publics afin de prévenir, détecter et sanctionner les cas de fraude. La lutte contre la fraude sociale est ainsi une priorité pour les pouvoirs publics.

Comme vous l’indiquez, les cas de médiatisation de fraude sociale – et leur écho auprès de l’opinion publique – semblent remettre très directement en cause l’efficacité des contrôles réalisés par les organismes de protection sociale. Cela peut découler d’une tendance à simplifier et caricaturer à l’extrême un système complexe – les fraudes sociales sont variées, à la mesure de la diversité des ressources recouvrées comme des prestations versées par les organismes sociaux et évidemment des situations personnelles des assurés et allocataires qui en bénéficient.

Comme dans la majorité des cas de désinformation, c’est la méconnaissance du sujet – en l’espèce de la Sécurité sociale – qui fournit un terreau fertile au développement de toutes sortes de théories. Je pense que dans l’esprit d’une partie de nos concitoyens, Sécurité sociale est associée à déficit et fraude. Il faudra probablement un certain temps avant une prise de conscience de la modernité et de la rigueur avec laquelle les processus opérationnels des caisses sont conduits. Il me semble d’ailleurs à ce titre important de rappeler que les comptes des organismes de Sécurité sociale sont tous certifiés depuis plusieurs années, par la Cour des comptes et par des commissaires aux comptes.

Les organismes doivent-ils renforcer la visibilité sur les actions qu’ils mènent autour de cette problématique et comment ?

PRB : Oui bien sûr ! Je suis de ceux qui pensent que cette visibilité s’obtient par le cumul d’actions de communication auprès de publics très divers : nos collaborateurs, nos conseillers, nos partenaires, la presse, les élus, les fédérations professionnelles et plus largement le monde économique.

Cela veut donc dire qu’il faut organiser des plans de communication plus directs, efficaces et réguliers. J’ai signé récemment une convention avec le monde du BTP de Rhône-Alpes visant à renforcer nos actions de lutte contre les fraudes, avec naturellement des priorités connues comme le sujet des prestations de services internationales irrégulières (« faux détachements »). Faire vivre ces engagements suppose la régularité que j’évoque pour mettre en évidence ce qui est fait et obtenu.

MS : Les résultats obtenus en matière de lutte contre la fraude sont effectivement insuffisamment valorisés. Ainsi, en 2017 – les chiffres 2018 ne sont pas encore publics – la fraude détectée par les organismes de Sécurité sociale s’est élevée à 1,2 Md€, contre 860 M€ en 2014, soit une augmentation de près de 40 % sur trois ans.

Ces chiffres traduisent l’investissement des organismes de Sécurité sociale dans la prévention, la détection et la répression de la fraude aux cotisations et aux prestations de Sécurité sociale. Ce n’est pas rien et des prises de paroles dans les médias devraient probablement et utilement être plus fréquentes. Toutefois, doit-on évaluer la qualité de la lutte contre la fraude au fait que des montants sans cesse plus élevés sont détectés chaque année ? Je n’en suis pas certain. Il me semble essentiel de garder en tête que les cas de fraudes avérés doivent être exceptionnels, ou en tous cas le devenir, et que nous devons être en capacité de les détecter lorsqu’ils surviennent.

Mais ces résultats doivent être pris dans la globalité des actions de contrôle entrepris par les caisses. Ils devraient d’ailleurs suivre, à moyen terme, une trajectoire inverse à celle du déploiement de dispositifs de contrôle interne et de maitrise des risques qui visent, comme pour les entreprises du secteur privé, à mettre en place une organisation plus performante et donc à prévenir les risques d’erreurs mais également les risques de fraude.

Peut-on dire que les politiques mises en œuvre ces dernières années ont renforcé la capacité de détection des fraudes ? Comment l’ont-elles améliorées ?

PRB : La réponse est clairement oui ! Pour deux raisons. D’une part le renforcement régulier de l’arsenal juridique de lutte contre les fraudes, et d’autre part le déploiement des méthodes et outils de data mining dans tous les réseaux d’organismes de Sécurité sociale. Cela veut dire concrètement notre capacité à mieux rapprocher des données, mieux mettre en exergue des atypies, et déclencher des contrôles pertinents.

MS : Depuis près d’une quinzaine d’années, les moyens de combattre la fraude se sont renforcés, modernisés et structurés tant du point de vue de l’arsenal juridique mis à disposition des acteurs que du renforcement de leurs organisations et de la mobilisation des échanges informatisés entre administrations. C’est d’ailleurs l’esprit des dispositions de l’article 25 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour l’exercice 2019, qui fixe des objectifs ambitieux en matière de contrôle interne mais également de la loi du 23 octobre 2018 – dont les dispositions concourent à trois objectifs : mieux détecter, appréhender et sanctionner la fraude – qui renforce l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale à l’échelle nationale.

Plus particulièrement, compte tenu d’une part de l’ingéniosité des fraudeurs mais également des risques intrinsèques propres aux prestations de Sécurité sociale, lesquelles sont régulièrement renouvelées afin d’apporter les solutions les plus justes à ceux qui en ont besoin et ont vocation à être versées très rapidement aux assurés – pour la plupart de bonne foi – des outils adaptés permettant soit la détection de situations suspectes soit l’accès aux informations utiles à l’investigation ont été développés.

La mise en commun des systèmes d’information et la convergence vers les autres opérateurs permettrait-elle d’améliorer la détection ?

PRB : Clairement, cette mise en commun est une source de progrès qui doit encore être développée au sein de la protection sociale dans son ensemble au-delà des réseaux de Sécurité sociale. Je pense notamment au Pôle Emploi.

MS : La stratégie globale de lutte contre la fraude se caractérise effectivement par le développement des relations partenariales entre les différents services publics impliqués, en France mais également avec des partenaires étrangers – en particulier pour l’activité de retraite. Ce développement constitue un important vecteur d’échanges d’information et de mutualisation des contrôles sur le terrain. L’intensification constante des échanges de données avec les administrations publiques, notamment dans le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf) et entre organismes de protection sociale (signalements, partage d’information, DSN…) et le « droit de communication » sont des moyens supplémentaires d’efficacité.

Par ailleurs, la modernisation des algorithmes de contrôle, notamment le Datamining, permet également aux branches de détecter plus efficacement les fraudes avec une meilleure réactivité. Les modèles de détections sont affinés en permanence et des cartographies du risque de fraude aident à identifier les principales priorités.

Vous allez animer une formation consacrée à la lutte contre la fraude sociale à l’EN3S. Quels sont les objectifs visés ? 

PRB : L’attente de l’Ecole est clairement centrée sur une présentation concrète et pragmatique de ce qui se joue sur les territoires dans la façon d’appréhender la lutte contre les fraudes, et la façon dont les coopérations se nouent. C’est la raison pour laquelle deux partenaires sont présents à la table ronde à savoir la DIRECCTE et la DDFIP, au-delà d’organismes de Sécurité sociale. Avoir une vision large des approches de lutte contre les fraudes, bénéficier de retours d’expériences concrets d’actions de lutte contre les fraudes, et débattre des sujets de médiatisation, trois objectifs simples et directs assignés à la journée !

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