21 octobre 2019

Couverture sanitaire universelle : les expériences éclairantes du Maroc et du Sénégal

La couverture sanitaire universelle est une ambition mondiale inscrite dans les objectifs de développement durable de l’OMS en 2015. Son but est de faire en sorte que tous les individus aient accès aux services de santé sans encourir de difficultés financières.

Le RAMED au Maroc et la CMU au Sénégal constituent des modèles d’extension de couverture médicale de base. Abdellatif Moustatraf, Chef des opérations et de la gestion du RAMED, et Mamadou Racine Senghor, Secrétaire général de l’Agence de la Couverture Maladie Universelle (CMU), partagent leur expérience de pilotage de ces projets.

 

Quels sont les grands principes de fonctionnement de votre couverture médicale de base ?

Mamadou Racine Senghor :

Lancé en septembre 2013, le programme CMU fait partie des priorités du Plan Sénégal Emergent qui est le cadre de référence des politiques publiques du Sénégal. Son but est d’améliorer l’accessibilité financière aux soins de santé de qualité pour les populations du Sénégal, en particulier celles du secteur informel et du monde rural. L’objectif assigné à l’Agence de la CMU, chargée de conduire le programme, est d’étendre la couverture maladie de base à 75% de la population en 2021.

L’Agence de la CMU s’est dotée d’un plan stratégique qui couvre la période 2017 /2021 et qui s’articule autour de deux principales composantes : une composante assurantielle et une composante assistancielle.

Les prestations servies, les publics couverts et les paramètres financiers peuvent être appréhendés à travers ces deux composantes.

Pour réussir la Couverture maladie universelle, l’État du Sénégal a misé sur les mutuelles de santé pour couvrir les 80% de sénégalais qui ne disposaient pas de protection sociale en santé. Je souligne que les fonctionnaires et les travailleurs du secteur privé disposaient déjà d’une couverture à travers les Institutions de Prévoyance Maladie (IPM) et les imputations budgétaires. L’Agence de la CMU a donc mis en place 676 mutuelles de santé à travers le territoire national, à raison d’une mutuelle de santé au moins par commune.

A la fin de l’année 2018, 49% de la population était couverte par un régime ou système de couverture maladie incluant les initiatives de gratuité et l’assurance maladie à base communautaire (contre 18% en 2012), grâce à l’intervention du programme de couverture maladie universelle.

 

Abdellatif Moustatraf :

Afin de concrétiser l’engagement de l’État en matière de droit à la santé tel que prévu par la constitution marocaine et les conventions internationales, le Maroc, a adopté en 2002 la loi n° 65-00 portant code de la couverture médicale de base, qui constitue le parachèvement de l’expérience marocaine en matière de couverture médicale et consolide les droits acquis par les citoyens marocains bénéficiant d’une assurance maladie, tout en assurant la progressivité vers la couverture de l’ensemble des citoyens, toutes catégories sociales confondues. A cette fin, un système obligatoire de couverture médicale de base a été mis en place en vue d’atteindre l’accès universel aux soins et d’assurer à l’État la veille du maintien de l’équilibre financier à travers l’encadrement permanent du système de couverture.  Dans ce cadre, il a été institué : une assurance maladie obligatoire de base (AMO) et un régime d’assistance médicale (RAMED).

Après une expérience test lancée à la fin de l’année 2008 dans une des régions du Royaume, la généralisation du RAMED a été lancée en 2012 sous la présidence effective de Sa Majesté le Roi Mohamed VI. Après huit ans de mise en œuvre, le régime couvre aujourd’hui plus de 10 millions de personnes et a fait bénéficier sa population de plus de 20 millions de prestations médicales. Il a contribué à l’amélioration du taux de couverture médicale de la population marocaine en passant de 16% en 2005 à plus de 62% actuellement , la population du RAMED représentant 28%.

 

Le RAMED et la CMU ont été lancés respectivement en 2012 et 2013. Au regard de ces années d’expériences, quels sont les points de vigilance à signaler aux pays et organismes qui entament cette démarche ?

Mamadou Racine Senghor :

D’après l’expérience du Sénégal, tout pays qui envisage de mettre en place la CSU doit assurer une haute vigilance sur les exigences suivantes :

  • L’homogénéité du système qui doit être intégré et non fragmenté pour assurer une solidarité optimale de toute la population Le système doit être construit de telle sorte que le haut fonctionnaire de l’Etat soit solidaire de l’ouvrier agricole, qu’il y ait une transversalité entre les différents régimes ;
  • Les politiques de gratuité qui doivent être maîtrisées et correspondre aux allocations budgétaires ;
  • Les risques liés à l’assurance maladie par le renforcement du contrôle administratif et médical ;
  • La professionnalisation des mutuelles de santé communautaires ;
  • Le bon ciblage des bénéficiaires ;
  • Les éléments de communication qui peuvent avoir des effets pervers sur la bonne mise en œuvre du programme ;
  • La pérennisation du financement avec des ressources adéquates et le développement de mécanismes innovants.

 

Moustatraf Abdellatif :

Au vu des chiffres, on pourrait dire que le RAMED a enregistré un bilan positif sur le plan quantitatif. Or sur le plan qualitatif et comme tout régime de couverture médicale dans son démarrage, il se confronte à certaines difficultés et insuffisances. Ces dernières peuvent être considérées comme une base pour identifier des points de vigilance susceptibles d’être partagés par d’autres pays ayant un système de couverture similaire. Il s’agit essentiellement de :

  • La fragilité de sa soutenabilité financière qui menace son évolution et sa pérennité ;
  • L’intégration de certaines catégories socioprofessionnelles fragilisées par le surenchérissement des coûts des soins et le retard qu’a connu la mise en place du régime des travailleurs non-salariés ;
  • Les difficultés en matière de gouvernance et de pilotage, notamment en l’absence d’un gestionnaire effectif indépendant du prestataire de soins ;
  • L’insuffisance de l’offre de soins disponible et sa répartition déséquilibrée géographiquement ;
  • La difficulté de disposer et d’appliquer des mécanismes et d’outils de régulation permettant de rationnaliser l’utilisation de l’offre disponible et d’agir sur les mauvaises pratiques générées par la gratuité des prestations médicales qu’offre le régime, et ce, en l’absence d’un régulateur à l’instar de ce qui se pratique pour l’Assurance Maladie Obligatoire des salariés et pensionnés du secteur privé (AMO).

 

Quelles dispositions sont ou seront mises en œuvre pour pérenniser votre système et poursuivre l’objectif de couverture universelle ?

Mamadou Racine Senghor :

L’Etat du Sénégal, envisage de faire une évaluation de la CMU. En prélude à cette évaluation qui doit déboucher sur un nouveau plan stratégique, l’Agence a entrepris les actions suivantes pour viabiliser et pérenniser le programme :

  • Mise en œuvre d’un système dénommé Système d’information de Gestion Intégré de la CMU comportant plusieurs applications dont un système d’identification biométrique, un système de facturation des prestations et de gestion de l’assurance maladie, un système de collecte et de paiement électronique des cotisations des bénéficiaires des mutuelles de santé et un entrepôt de données de l’ensemble des régimes de couverture maladie du Sénégal ;
  • Adoption d’une loi sur la CMU ;
  • Réorganisation du dispositif assurantiel avec un relèvement du premier niveau de mise en commun ;
  • Intégration des initiatives de gratuité dans le système assurantiel ;
  • Renforcement du partenariat avec le secteur privé.

De toute évidence, les reformes systémiques et paramétriques pour pérenniser la CSU au Sénégal devront tourner autour des mesures politiques suivantes :

  • Corriger la fragmentation du dispositif assurantiel et son émiettement dans le respect de notre environnement juridique international et communautaire ;
  • Rendre obligatoire la couverture maladie de base à travers la loi afin que chaque sénégalais ait accès à un paquet de soins garanti dans le cadre d’une solidarité de tous les citoyens. Pour les travailleurs du secteur formel leur participation pourrait se faire en relation avec les institutions sociales qui les gèrent ;
  • Mieux structurer l’assurance maladie des fonctionnaires comme c’est le cas pour leur retraite ;
  • Trouver les mécanismes juridiques et techniques pour assurer le financement de la CSU car la santé des populations est un domaine prioritaire ;
  • Mutualiser certaines fonctions de la protection sociale, dans le cadre d’une approche transversale et multisectorielle, telles que l’enregistrement, le recouvrement, le contrôle médical ;
  • Définir une stratégie intégrée et multisectorielle en faveur de l’économie informelle dans laquelle la CSU constitue un des principaux leviers pour la formalisation dudit secteur ;
  • Impliquer les collectivités territoriales dans la mise en œuvre de la Couverture santé universelle ;
  • Mettre à contribution les sénégalais de la diaspora pour la couverture de leurs familles restées au pays.

Moustatraf Abdellatif :

Il est important de souligner que la réforme du RAMED se trouve aujourd’hui au cœur des préoccupations des pouvoirs publics en matière sociale. SM le Roi, à l’occasion de la fête du trône de 2018, a demandé au gouvernement de redresser les anomalies qui entachent l’exécution du RAMED et de revoir en profondeur le système national de santé dont le secteur public constitue la composante principale. L’objectif recherché est de gérer le RAMED selon les principes de l’assurance sociale et ceux de la bonne gouvernance afin de permettre à la population bénéficiaire, un accès fluide et la satisfaction de leurs besoins.

Dans ce sens, une conception détaillée de réforme du RAMED est en cours d’élaboration en tenant compte des acquis et en permettant l’amélioration progressive du taux de satisfaction des bénéficiaires. Celle-ci doit définir :

  • L’entité qui sera chargée de la gestion du RAMED en précisant la délimitation des frontières d’intervention et les interactions entre le gestionnaire et les différents acteurs principaux impliqués ;
  • Les modalités de collecte et d’allocation des ressources destinées au RAMED ;
  • Le schéma directeur du système d’information et de gestion du RAMED ainsi que les modalités de sa mise en place permettant d’impliquer tous les acteurs (prestataires de soins, gestionnaire, régulateur…) ;
  • Les outils nécessaires à la régulation du RAMED et l’entité responsable à sa mise en œuvre afin d’assurer une bonne gouvernance du RAMED et de garantir l’équilibre financier dans sa gestion.

 

L’EN3S propose régulièrement la formation « Lignes directrices de l’AISS sur les solutions administratives pour l’extension de la couverture »  ainsi qu’une formation dédiée à la « gestion du risque assurance maladie et régulation ».