29 juin 2022

Grand Prix de la Protection Sociale : Anne Revillard, lauréate 2022, présente son ouvrage « Des droits vulnérables – Handicap, action publique & changement social »

 

Afin de contribuer à la promotion de la protection sociale, l’École nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S) et la Caisse des Dépôts se sont associées, depuis 2019, pour attribuer le « Grand Prix de la protection sociale ». Ce prix vise à récompenser les meilleurs ouvrages, parus durant l’année, qui participent aux débats sur la protection sociale et aux analyses qui sont développées sur son organisation, sa pertinence et sa performance. 

Réuni le 16 mai 2022 pour désigner les ouvrages lauréats de l’édition 2022, le jury réunissant des experts issus du monde de la protection sociale, a décidé de co-primer deux ouvrages : 

  • Anne Revillard, Des droits vulnérables – Handicap, action publique et changement social, Les Presses de Sciences Po, août 2020
  • Véronique Daubas-Letourneux, Accidents du travail – Des morts et des blessés invisibles, Bayard, septembre 2021.

Anne Revillard, directrice du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) et membre de l’Observatoire sociologique du changement (OSC), dont les recherches portent sur l’articulation entre droit, action publique et transformations contemporaines des systèmes d’inégalités liées au genre et au handicap, nous présente son ouvrage.

Anne RevillardVous utilisez l’adjectif « vulnérables » pour qualifier non pas les handicapés mais leurs droits. Quelle est la réalité des droits des personnes en situation de handicap aujourd’hui ? A-t-on progressé dans leur accompagnement ?

Effectivement, on utilise plus souvent l’adjectif « vulnérables » pour qualifier les personnes handicapées elles-mêmes. Sans nier l’existence de ces situations de vulnérabilité, j’ai souhaité retourner l’adjectif pour caractériser les droits de ces personnes. En effet, on est face à des droits ambitieux dans les textes (par exemple en matière d’accessibilité, de compensation, d’éducation, d’emploi…), mais qui souffrent de défauts majeurs d’effectivité. Des progrès ont eu lieu bien sûr dans différents volets des politiques publiques liées au handicap en France, mais on est encore loin d’une situation qui permettrait une véritable inclusion des personnes.

Votre ouvrage se base sur de témoignages concrets. En quoi ces expériences individuelles peuvent-elles nourrir les réflexions collectives sur la prise en charge de ces publics aux besoins multiples et hétérogènes ?

L’objectif des politiques du handicap, en dernier ressort, est d’améliorer le quotidien des personnes handicapées. Il m’a donc semblé logique d’aller enquêter auprès des personnes directement concernées pour voir ce que ces politiques publiques changent ou pas dans leurs vies quotidiennes. Les récits récoltés permettent à la fois de retracer des effets réels des transformations de l’action publique – par exemple des progrès en matière d’accessibilité de l’espace urbain et des transports – mais aussi la façon dont les personnes perçoivent subjectivement ces politiques publiques et le rapport qu’elles entretiennent avec elles. À cet égard, on observe par exemple en matière de droits sociaux des situations de recours distants, critiques ou inquiets : on a recours à une prestation tout en mettant à distance les logiques de contrôle social qu’elle implique, ou encore avec une inquiétude quant à la pérennité de l’éligibilité ou de l’existence même de la prestation. Les récits collectés ne fournissent toutefois qu’un aperçu de la réception des politiques du handicap, en étant centrés sur les seules incapacités visuelles et motrices, et doivent être complétés par d’autres investigations empiriques.

Envisagez-vous une prise de conscience, à court ou moyen terme, permettant d’aboutir à une stratégie prenant en compte les besoins spécifiques des personnes en situation de handicap, tant protectrice qu’inclusive ?

Il me semble que cette prise de conscience est en cours. Plusieurs dynamiques y participent : une tradition d’action associative ancienne qui a été renouvelée par de récentes mobilisations plus contestataires plaçant au premier plan la revendication des droits et de l’égalité ; des politiques publiques en transformation ; un cadre normatif international qui fournit un riche support de promotion des droits des personnes handicapées avec la Convention des droits des personnes handicapées (CDPH) de l’ONU de 2006 ; des recherches de sciences sociales en plein essor… Tous ces éléments sont à même de favoriser cette prise de conscience : prise de conscience par les personnes valides de l’ampleur des inégalités liées au handicap, et revendication de leurs droits par les personnes handicapées elles-mêmes. La revendication à être traité comme un sujet de droit m’a frappée comme étant très centrale chez les personnes que j’ai rencontrées, au-delà du simple enjeu d’avoir ou non des droits. Cette dimension symbolique de la reconnaissance est essentielle.

Que représente pour vous le fait de remporter ce prix avec un ouvrage sur cette thématique ?

Je suis très honorée par ce prix, et j’espère surtout que ce sera l’occasion de donner plus de visibilité à cette question des droits des personnes handicapées. La remise du prix a été l’occasion d’échanges fort stimulants avec les acteurs publics. C’est un des grands intérêts de cette démarche de prix que de favoriser un meilleur dialogue entre travaux universitaires et action publique.

 

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