26 août 2022

GRAND PRIX DE LA PROTECTION SOCIALE : VÉRONIQUE DAUBAS-LETOURNEAUX, LAURÉATE 2022, PRÉSENTE SON OUVRAGE « ACCIDENTS DU TRAVAIL : DES MORTS ET DES BLESSÉS INVISIBLES »

 

Afin de contribuer à la promotion de la protection sociale, l’École nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S) et la Caisse des Dépôts se sont associées, depuis 2019, pour attribuer le « Grand Prix de la protection sociale ». Ce prix vise à récompenser les meilleurs ouvrages, parus durant l’année, qui participent aux débats sur la protection sociale et aux analyses qui sont développées sur son organisation, sa pertinence et sa performance. 

Réuni le 16 mai 2022 pour désigner les ouvrages lauréats de l’édition 2022, le jury réunissant des experts issus du monde de la protection sociale, a décidé de co-primer deux ouvrages : 

  • Anne Revillard, Des droits vulnérables – Handicap, action publique et changement social, Les Presses de Sciences Po, août 2020
  • Véronique Daubas-Letourneux, Accidents du travail – Des morts et des blessés invisibles, Bayard, septembre 2021.

Véronique Daubas-Letourneux, enseignante-chercheuse en santé-travail à l’EHESP depuis septembre 2015, rattachée au département des sciences humaines et sociales (SHS), nous présente son ouvrage.

Véronique Daubas-LetourneuxVous avez intitulé votre ouvrage « Accidents du travail : des morts et des blessés invisibles ». Que souhaitez-vous dénoncer en les qualifiants d’« invisibles » ?

Les accidents du travail sont invisibles dans le débat public, ils sont un « non-problème », non questionnés, dépolitisés, ce qui paraît paradoxal au regard de leur ampleur numérique et de leur très inégale répartition dans la population. Au-delà des accidents, ce sont les hommes et les femmes accidentés du travail qui sont invisibles. Mon livre est construit pour l’essentiel à partir d’enquêtes sociologiques fondées sur des entretiens longs auprès d’accidentés du travail. En observant les accidents du travail par le prisme du parcours des accidentés, je montre que les accidents du travail sont, au-delà de drames individuels et d’indicateurs de gestion, un fait social, qui interroge les rapports sociaux dans les sphères du travail, de l’emploi, du droit et de la reconnaissance.

Est-ce que cette invisibilisation peut expliquer la relative stabilité du nombre d’accidents du travail ces dernières années ?

On observe en effet une relative stabilité du taux de fréquence des accidents du travail depuis les années 2000, après une baisse continue observées les décennies précédentes. Je ne sais pas si c’est forcément lié à l’invisibilisation du phénomène, mais en tout cas, cela questionne le travail, en particulier le phénomène d’intensification du travail, objectivé dans les enquêtes Conditions de travail (Dares) depuis la fin des années 1990, qui reste à un niveau élevé. À côté des accidents, il faut en outre rappeler que d’autres indicateurs de santé au travail sont en augmentation ces dernières décennies. Notamment les troubles musculo-squelettiques mais également les questions de risques psychosociaux.

Quelles sont selon vous les pistes à mobiliser, tant au niveau des salariés et des entreprises, pour permettre une mobilisation effective, afin d’obtenir des résultats probants, contre ces accidents ?

Les pistes à mobiliser me semblent être avant tout au niveau de l’organisation du travail. Les nombreux récits d’accident du travail que j’ai pu analyser mettent en évidence des choix d’organisation du travail qui questionnent des logiques économiques privilégiées au détriment de la santé des salariés. Le travail dans l’urgence (souvent légitimée par « le client qui attend »), le sous-effectif structurel, la précarité de statut d’emploi sont des caractéristiques apparues dans de nombreuses situations. La survenue d’un accident, même bénin, est un indicateur à prendre en compte pour agir en prévention. Dans les entreprises, pouvoir analyser l’accident, avoir des espaces pour parler du travail, me semble également un levier important pour agir en prévention, aux plans individuel et collectif. En dehors, l’inspecteur du travail est aussi un acteur-clé.

Que représente pour vous le fait de remporter ce prix avec un ouvrage sur cette thématique ?

La remise de ce Grand Prix de la Protection Sociale 2022 est un honneur et le partager avec un autre ouvrage sur les droits des personnes en situation de handicap est pour moi chargé de sens quant aux choix du jury de mettre en avant des récits et des parcours de personnes peu souvent écoutées. Ce prix contribue à donner une visibilité à cet enjeu de santé publique que sont les accidents du travail, et plus largement aux atteintes à la santé liée au travail. Et à travers ce livre, ce sont les hommes et les femmes accidentés du travail qui sont reconnus.

 

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