10 mai 2019

Innover pour atteindre les groupes difficiles à couvrir : entretien avec Patrick Marx sur le séminaire AISS

Le séminaire technique de l’AISS, organisé en partenariat avec la Caisse nationale de Sécurité sociale et la Caisse nationale d’Assurance maladie de la Mauritanie, s’est déroulé les 26 et 27 février 2019 à Nouakchott en Mauritanie.

Parmi les experts internationaux présents, Patrick Marx, conseiller direction de la qualité, de la performance et de l’innovation de l’ARS Grand Est et expert à l’international pour l’EN3S, est intervenu. Il revient pour nous sur les problématiques abordées.

Le secteur informel perdure, voire prospère, dans certains pays. Face à ce constat, les Etats concernés avancent-ils vers une protection sociale inclusive ?

La question du travail informel est récurrente dans beaucoup de pays. De nombreuses études démontrent l’importance de ce secteur qui reste cependant multiforme. Plus de 80% de la population employée en Afrique Sub-Saharienne l’est dans le secteur informel. On associe très souvent secteur informel à pauvreté. Le lien n’est pas toujours exact. Or, de nombreux responsables ne savent pas comment aborder le dossier et préfèrent consacrer leurs efforts à améliorer les couvertures pour les populations identifiées (secteur public en particulier) ce qui ne me parait pas en phase avec les objectifs du développement durable et la protection sociale pour tous. Le chemin vers une protection sociale inclusive est encore long et il devra nécessairement croiser les autres chantiers tels que la lutte contre le travail des enfants ou les politiques publiques d’éradication des phénomènes de corruption.

Quelles sont les difficultés rencontrées par les pays engagés dans cette démarche d’extension ?

Les difficultés sont à la fois techniques mais également éthiques. Nos collègues ont une approche parfois trop globale : ils souhaitent dupliquer dans leurs pays un système existant ailleurs, ce qui est rarement pertinent compte-tenu des particularités de chaque région. En outre, ils occultent l’analyse préalable des points forts ou faibles de leur environnement, ce que nous appelons l’environnement habilitant. Ces freins techniques peuvent être levés par la mise en œuvre des lignes directrices de l’AISS et nos outils de formation. Ainsi, le corpus de formation sur l’extension, développé par l’École, trouve aujourd’hui tout son sens dans cette progression.

Le frein éthique tient au choix systématique d’un système contributif pour soutenir leur couverture sociale. L’équation : seul celui qui peut contribuer bénéficiera d’une protection, est très ancrée. La solidarité avec ceux qui disposent de trop faibles revenus pour cotiser reste un concept parfois tabou. Or, on le sait bien, la protection sociale a progressé en Europe grâce à une diversité d’approches : assurantielle et de solidarité. D’autres pays explorent enfin une troisième voie en proposant une prestation facultative mais le taux de pénétration reste marginal.

A travers le partage d’expériences permis par le format du séminaire, avez-vous pris connaissance d’initiatives ou d’innovations qui pourraient être diffusées ?

Nous avons souhaité inventorier des exemples pratiques initiés par certains pays pour rompre avec ce recours exclusif au système contributif.

L’Algérie propose un régime spécifique pour les travailleurs indépendants qui marie système contributif et solidarité en permettant aux artisans une reconnaissance sociale. Les Comores souhaitent également développer la couverture sociale des pécheurs côtiers. J’ai noté également les efforts importants menés par le Cameroun dans le cadre de la prévention des accidents de travail. Plusieurs pays (Togo, Centre-Afrique, Mauritanie) ont également compris que l’extension de la protection sociale peut se faire de manière modeste et pragmatique en testant des microsystèmes de couverture sociale sur certains de leurs territoires ou au profit d’une catégorie particulière de leur population (prévention des accidents pour les moto-taxis de Lomé, programme « Snake-Bite » en Afrique subsaharienne pour les cueilleurs de bananes exposés aux risques de morsures de serpents venimeux). Testés et évalués, ces programmes diffusent la culture « prévoyance sociale » auprès de populations qui n’imaginent parfois même pas ce qu’est la sécurité sociale.

Suite à cette intervention, vous avez été accrédité expert AISS. Sous quelle(s) forme(s) pensez-vous poursuivre votre contribution à l’extension de la couverture sociale ?

Cette reconnaissance internationale me permet de côtoyer les décideurs et les gestionnaires et de participer, avec eux, à ce formidable chantier de l’extension de la protection sociale dans le monde. C’est aussi la possibilité de rappeler que la protection sociale n’est pas seulement une question de technique, c’est également une ambition éthique. A ce titre, l’expérience française mérite d’être vulgarisée, y compris en Asie et Pacifique. Ces rencontres sont enfin l’occasion de diffuser, d’enrichir et d’adapter notre offre de formation à l’international tout en renforçant l’expertise de l’EN3S dont l’image reste très forte.

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